Détournements de contes et imagerie renversée : une contre culture pour les enfants |
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En exergue de sa Cendrillon revendicative, l’auteur avertit le lecteur : « Vous croyez, j’en suis sûr, connaître cette histoire. Vous vous trompez : la vraie est bien plus noire. Ou rouge sang, si vous voulez. La fausse, que vous connaissez, fut fabriquée, ou inventée, et sans scrupule trafiquée, afin que tout y soit mollasson, niaisouillard, le genre à faire le soir s’endormir les moutards ». Cendrillon, menacée d’abandon dans une cave humide, refusera ce prince qui décapite les têtes (allusion à la reine de coeur d’Alice), mettant un point final à cette fin qu’on lui a sans cesse imposée. Si Blanche-Neige prend la fuite en stop et blue-jeans c’est pour échapper à une marâtre carnivore (ou cannibale) recrutée par petite annonce. Le miroir francophone donne le menu du déjeuner comme des tuyaux pour les courses de chevaux… il fera la fortune de sept anciens jockeys et de leur ingénue si ingénieuse. Quant au Petit Chaperon, sachant manier le revolver, prenant des libertés avec le texte, il s’en ira délivrer le troisième petit cochon menacé par un loup canaille. Féroce et jubilatoire, le recueil Un conte peut en cacher un autre de Roald Dahl détourne avec humour, réalisme et jeux linguistiques. Nadja, auteure majeure de la littérature jeunesse, revisite, comme son pseudonyme l’indique (une référence à l’oeuvre d’André Breton portant le même nom), les figures féminines chères aux petites filles : fées, princesses, poupées. Cependant elles sont bien loin des stéréotypes de la belle soumise et inactive, enroulée dans la longueur de ses cheveux blonds : l’éperdue espérant l’arrivée triomphante du héros de l’histoire qui n’est autre que le prince. Loin de la poupée à coiffer vouée à se taire. Grimaçante et toujours d’humeur désagréable, L’horrible petite princesseprend un plaisir immense à tourmenter son entourage. Rien n’y fera pour l’en empêcher, jusqu’au jour de l’amour : coup de foudre pour un petit monstre vert et là voilà mordue, beaucoup moins mordante. L’histoire de Méchante, très bel album à l’esthétique captivante, donne le rôle principal à une poupée. On bascule dans le fantastique à l’instant- même où le jouet prend vie : cassée, réparée et animée par ce que l’on suppose être une fée, la poupée cherchera à se venger à travers les faits et gestes de Paula, sa propriétaire. Du mystère derrière le regard figé des poupées, mais la fin est heureuse, l’humeur positive : de méchante elle devient gentille. Quand Grégoire Solotareff et Nadja conjuguent leurs talents pour détourner la Belle au Bois Dormant, cela donne une parodie loufoque et irrésistible : La Laide au Bois Dormant, jumelle de la Belle qui va vivre moult (més)aventures pendant le long sommeil de sa soeur. Anti héroïne que cette lady pas jolie-jolie, mais si intelligente et si réfléchie, questionnant elle-même dans le texte l’étrangeté de cette histoire… Subversifs, d’une grande puissance d’évocation et de recréation, ces oeuvres (exemples non exhaustifs) utilisent les schémas traditionnels pour mieux les renverser, suscitant la curiosité d’aller voir au-delà. Du miroir. Karine Fellemann A retrouver à la bibliothèque :
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